vendredi 14 juin 2013

Vers une philosophie interculturelle


Vers une philosophie interculturelle

A la transdisciplinarité se sont ajoutées depuis les années 80 deux mutations en philosophie occidentale : le retour à la préoccupation antique de la philosophie comme manière de vivre, et l’ouverture à des notions venues de pensées et de langues non occidentales ainsi qu’à l’héritage des peuples sans écriture. Aussi nous allons essayer de dresser un panorama de ces philosophies non occidentales, ce qui nous permettra d’élaborer une pensée de la Terre en réfléchissant aux places respectives des humains, des techniques et de la nature. Mais en premier lieu nous allons expliquer le terme de barbarie, à travers l’ouvrage de Roger-Pol Droit Généalogie des Barbares.

L’Autre ce Barbare

On traite pêle-mêle de barbares les nazis, l'Occident dans sa domination, le vandalisme des banlieues...  Qui sont vraiment les barbares ? Quand ce mot apparaît-il pour la première fois ?

«  Barbare » est d'abord une onomatopée, «Brrr... brrr », qui imite une voix gutturale, rocailleuse, déformant la langue. Homère, au chant II de « L'Iliade », utilise pour la première fois l'adjectif composé « barbarophone » pour caractériser les Cariens, alliés des Troyens contre les armées grecques. Pour les Grecs, la parole et la raison sont étroitement liées (un même mot les désigne, logos), donc celui qui parle de manière inhabituelle va être soupçonné de mal penser, d'échapper au contrôle de la raison, et ainsi d'être impétueux, colérique, violent. Mais le partage le plus décisif est politique : sa relation faussée au logos interdit au barbare d'instaurer un ordre politique fondé en raison. On se représente alors le barbare comme proche de l'esclave, sujet d'un pharaon ou d'un empereur, par opposition au Grec, citoyen libre, vivant sous le seul règne de lois élaborées en commun. La souveraineté des Grecs, sur les peuples barbares s'en trouve évidemment légitimée. Pourtant dans la pensée grecque, les barbares ne sont pas inférieurs, ces barbares-étrangers peuvent être des hommes de haute science, de grande culture, au passé immense, comme les Egyptiens chez Platon. Et surtout l’on ne trouve jamais l'idée de barbarie telle que nous l'entendons, c'est-à-dire l'inhumanité dans l'homme, l'insensibilité face à la douleur de l'autre, ou encore les forces de destruction internes à la civilisation. Cette notion de barbarie liée à l’inhumanité va se construire avec Rome. A la fin de la République, au début de l'Empire s’élabore l'idée de l' humanitas, de la solidarité naturelle des humains les uns envers les autres, à cette humanitas s'oppose la feritas (de ferus, sauvage), cette feritas est le premier jalon important dans la naissance de la notion de barbarie.
Ensuite vient le christianisme, qui au début  fait sauter la séparation entre barbares et non-barbares. Nous sommes tous frères en Jésus-Christ. En même temps la compassion, la charité, l'humilité vont prendre le pas sur la force, la dureté, le combat, la faiblesse devient une forme de supériorité nouvelle, et la violence est mise au dehors, elle devient ce qu'on refuse. Et comme, à la même époque, les Goths, les Vandales et bientôt les Huns ne se comportent pas exactement comme des agneaux, la représentation de la barbarie-inhumanité finit de se constituer.
Les barbares à partir du christianisme sont donc avant tout inhumains ?
Les anciens barbares étaient définis par leur naissance ; les nouveaux le seront par leurs actes. 
Tant bien que mal, le couple civilisation-barbarie subsiste au fil des siècles, jusqu'à ce que la découverte de l'Amérique transforme le terme...
En effet, apparaissent à cette époque les « bons sauvages », qui sont à l'extérieur de la civilisation développée mais ne la menacent pas.

A chaque fois que l’on fait disparaître le barbare un autre apparaît : Saint Paul proclame l'abolition des singularités, plus tard vient l'Inquisition, 1789 affirme que tous les hommes naissent libres et égaux, bientôt s'organise la Terreur. Du fait de cette égalité formelle, les barbares, effacés en droit ressurgissent en fait dans la représentation occidentale tout au long du XIXème siècle, sous la double forme des classes dangereuses et des peuples à coloniser. Au XXème le monde semble unifié, mais une autre forme de barbarie va naître : les totalitarismes du XXe siècle, le Goulag et la Shoah, les deux tueries mondiales. Le siècle commence avec le génocide des Arméniens, il se termine par celui des Tutsis, des Tchétchènes après les charniers des Khmers rouges. La chute du mur de Berlin en 1989 signe la fin de l’histoire et la planétarisation de l’économie de marché et de la démocratisation de l’Etat, donc un monde sans barbares. Mais le XXIème s’ouvre avec les attentats du 11 septembre, l’intensification de la menace terroriste, et le chantage des prises d’otage.
On peut penser que la civilisation a échoué. Pourtant l’universalité du Christ, les droits de l’homme, la mondialisation ne sont pas génératrices de barbarie ils sont sous-tendus par des idéaux de fraternité, de liberté et d’égalité, le danger c’est de leur ajouter la puissance de la pureté. Le monde doit demeurer imparfait, bancal, hasardeux. On voit monter en puissance des techniques pour réduire le hasard (en biologie, recherche ADN, dépistage génétique, manipulation d’embryon, clonage). La volonté de rendre le monde pur conduit à éradiquer l'altérité, à supprimer les singularités. Aujourd’hui le barbare ce n’est pas seulement un monstre c’est aussi l’étranger qu’on exclut, l’autre que l’on juge inférieur. Aujourd’hui la barbarie est à l’intérieur, elle met en péril la civilisation. Un barbare habite en chacun. Et la civilisation elle même s’est muée en Barbarie, peu importe que ce soit à cause de la technique, du capitalisme, de la société du spectacle ou à l’ensemble, il faut la combattre. Avec les nouvelles éventualités du clonage, du contrôle de l'ADN, de la surveillance des déplacements et des communications se profilent à l'heure actuelle des moyens d'élimination sans précédent du hasard humain, c'est-à-dire de la liberté humaine, c’est une autre forme de barbarie. Il ne faut pas qu'une nouvelle tentation de pureté mette de tels moyens à son service. Le barbare aujourd’hui c’est celui qui parle mal l’humain, qui veut trop le plier à un excès de raison, au contrôle, à la contrainte, car parler humain c’est ne jamais savoir exactement ce que l’on va dire.
Le barbare des commencements était impulsif, fantasque, le barbare d’aujourd’hui est maître de lui, en un sens c’est le triomphe de la raison mais d’une raison devenue folle, sans limite donc inhumaine. Lutter contre la barbarie autrefois était combattre le chaos, l’émotion, aujourd’hui c’est l’inverse il faut se méfier de l’ordre, des savoirs sans bornes, des contrôles sans émotion. 

vendredi 31 mai 2013

Petite histoire de la philosophie occidentale




Introduction

Qu’est ce que la Philosophie ? Qu’est ce que philosopher ?

Philosopher, c’est résister.
Philosopher, c’est savoir s’étonner.
Philosopher, c’est ouvrir les yeux.
« Philosopher c’est apprendre à mourir » Montaigne
Philosopher, c’est poser les vrais questions.
Philosopher, c’est apprendre à se connaître.
« Philosopher c’est une activité qui procure une vie heureuse » Epicure.
Philosopher, c’est rechercher la vérité.
Philosopher, c’est nous aider à vivre.

Pourquoi Philosopher aujourd’hui ?

Le monde se trouve dans des difficultés terribles : puissance des techniques, crise du sens, montée des fanatismes, le maître mot est l’efficacité. Que peut faire la philosophie ? Depuis ses débuts la philosophie n’est pas que théorie « elle enseigne à faire, non à dire »dit Sénèque, c’est une manière de vivre. Philo=ami ; Sophe=sagesse. C’est la recherche de la sagesse.

Peut-on faire une histoire de la philosophie ?

La philosophie organise sa cohérence à partir des circonstances liées à la politique à l’idéologie et aux sciences et c’est l’histoire de ces conditions scientifiques, politiques, idéologiques et sociales qui fabriquent différentes philosophies donc une histoire. De plus chaque philosophie hérite d’une philosophie qui la précède. L’histoire de la philosophie est donc utile.

Première Partie : à la recherche de la vérité

La philosophie antique grecque

La philosophie prend sa source en Grèce quelques siècles avant J-C (600 av. JC). Avant la philosophie on se servait des mythes pour résoudre les questions ontologiques et leur apporter des réponses, on mettait en scène des dieux. Mais les mythes ne sont pas l'apanage des Grecs, ils existent à travers le monde.
Pourquoi donc la philosophie est elle née en Grèce? Une première hypothèse consiste à présenter la Grèce comme un lieu d'échanges commerciaux, cela favorise la circulation des idées. Deuxième hypothèse, c’est en Grèce que naissent la géométrie et la cité. La géométrie est le pouvoir de la raison, elle n'a que faire des mythes, elle s’exerce par la démonstration. La cité est le lieu du discours, indispensable pour gouverner. Les Grecs inventèrent alors la philosophie avec l'espoir de concilier la rigueur mathématique et l'art de discourir, voire de contredire. Troisième hypothèse, les Grecs en 600 av. JC ont connu des mutations économiques et sociales et une crise de l’Etat, fondé sur l’aristocratie, et cela conduit à de nouvelles formes d’organisations politiques (tyrannie et démocratie).

Les penseurs présocratiques (750 av. JC. à 500 av. JC.)

Dans les temps anciens la profession de philosophe n’existait pas. Ils étaient en même temps savants, mathématiciens, géomètres, astronomes comme Thalès, Pythagore, Héraclite et Parménide, ils sont considérés comme les fondateurs de la philosophie occidentale, et originaires des colonies grecques situées en Ionie et au sud de l'Italie. Il s’interroge sur le principe fondamental qui régit le monde et les choses (la physique). La physique ou philosophie naturelle tente de comprendre la nature (en grec, physis). C'est dans ce cadre que naît la philosophie atomiste, ancêtre du matérialisme scientifique moderne avec Démocrite.

La philosophie grecque classique (500 av. JC. A 400 av. JC)

Elle naît à Athènes, avec Socrate, son disciple Platon, et Aristote son élève. L’homme est au centre de tout.

Socrate (470-399 AVT JC)

Il naît à Athènes et passe le plus clair de son temps à discuter dans la rue et sur les marchés avec les gens. Il n’a pas écrit, nous le connaissons grâce à son élève Platon. Il est condamné à mort, contraint à boire la ciguë, en 399 av. JC, car accusé d’avoir perverti la jeunesse. Il utilise non la controverse mais la persuasion. Son enseignement est une maïeutique c’est à dire une aide à l’accouchement. Il pensait en vrai philosophe qu’il ne savait rien, c’est un rationaliste.

Platon (427-347 AVT JC)

Socrate s’intéresse à l’homme, Platon s’intéresse à ce qui est éternel et immuable dans la nature, la morale et la vie sociale, il recherche ce qui est éternellement vrai, beau et bien. Pour lui les idées sont plus réelles que les phénomènes naturels. Les mythes et les métaphores lui servent à expliquer ses idées. Pour lui la connaissance et l’apprentissage sont essentiels et la raison est indispensable. Il pense que les femmes peuvent être des philosophes comme les hommes. Avec Socrate il est le fondateur de la philosophie morale ou éthique qui met en lumière les règles d’action et les comportements à suivre pour être vertueux donc heureux.

Aristote (384-322 AVT JC)

Sa philosophie relève d’une approche encyclopédique et il fait pour la première fois l’histoire de la philosophie. Il rejette la théorie de Platon : pour Aristote l’être des choses réside dans la chose elle même et non dans l’idée. Il utilise à la fois la raison et les sens (intuition). Il est l’inventeur de la théorie de la connaissance ou logique. Elle sert à examiner nos représentations, leurs relations avec l’existence du langage et de la raison. Il est l’inventeur du syllogisme : 2 propositions aboutissent à une conclusion (Tous les hommes sont mortels, les grecs sont des  hommes, tous les grecs sont mortels). Il a aussi développé une éthique : le bonheur dépend de la vertu mais pas seulement il dépend de nos conditions matérielles et intellectuelles et il pense que les certitudes sont relatives ? Seul bémol : il pense que la femme est un homme imparfait.

La philosophie hellénistique (vers 320 av. JC.)

 Elle s’inspire de la logique et s’attache à enseigner comment il faut vivre. Le stoïcisme : indifférence devant les choses que l’on ne peut contrôler et se détourner de la servitude des passions. Pour être heureux faisons le bien et agissons vertueusement. Le scepticisme : le doute. L’épicurisme : vivre sans souffrance et sans crainte, tout en veillant à une modération des plaisirs. Epicure préconise non de jouir intensément mais une sorte de diététique du bonheur. Il faut cesser de désirer au delà du besoin. Ces trois principales écoles poursuivront leur essor dans le monde romain. Au même moment le néoplatonisme est un mouvement qui tente de concilier la philosophie de Platon avec certains courants de la spiritualité orientale, Plotin. Dans l'Antiquité, la philosophie n'est en effet pas conçue seulement comme un savoir déposé dans des livres, mais tout autant comme une façon de vivre et une médecine de l'âme.

La philosophie antique romaine

Dans l'antiquité romaine, la philosophie dominante est le stoïcisme, hérité des Grecs, avec Epictète, Marc-Aurèle et Sénèque. Savoir se détacher des plaisirs comme des maux et cela grâce à un entrainement quotidien l’ascèse et à la volonté. L’épicurisme se prolonge également dans le monde romain, avec Lucrèce : il faut réduire nos désirs aux besoins réels de notre corps, laisser de coté le luxe. Il faut dompter nos désirs car la sérénité permet de mieux supporter la souffrance.

La Philosophie médiévale

Dans l’Antiquité tardive, l'essor du christianisme donne naissance à une philosophie chrétienne qui influencera tout le Moyen Age : Saint Augustin (340-404). Aristote et la logique furent au centre de cette philosophie. Cette redécouverte ne sera possible que par l'intermédiaire des philosophes arabes et souvent par des traductions indirectes du grec vers l'arabe et de l'arabe vers le latin. La philosophie médiévale est très liée à l'église, elle essaie de réconcilier la raison et la foi. Les philosophes du Moyen Âge, qui avaient tous reçu une formation en théologie, se basaient sur les textes bibliques et tentaient souvent de concilier les enseignements de la Bible avec les écrits des philosophes antiques : Thomas d’Aquin, Abélard.

La Philosophie moderne (1492-1789)

Cette philosophie est, d'une part, l´héritière de la pensée antique (ils la connaissent parfaitement) d'autre part, elle est liée aux Modernes qui ont intégré les découvertes scientifiques et la conquête de nouvelles terres. 

La Renaissance Humaniste  au XVème et XVIème

Après un Moyen Age religieux c’est la renaissance de la philosophie antique. La lecture du monde repose plus sur la science que sur la religion et place au centre des préoccupations l'acquisition du savoir pour que l'être humain développe pleinement ses facultés : c’est l’humanisme. C'est l'occasion d'un renouveau des réflexions sur la culture, l'éducation et la politique.

Erasme de Rotterdam (1469-1536)

Auteur de « l’Eloge de la folie », prêtre catholique évangéliste, il est très critique envers l’institution Eglise, mais ne suit pas les protestants qui nient le libre arbitre de l’homme.

Montaigne (1533-1592)

Dans ses Essais, qui auront une grande influence, il professe un relativisme culturel nourri à la fois par l'observation de son époque et par la lecture des auteurs grecs et latins. Il est marqué par un certain pessimisme, puisqu’il dit qu’il est difficile pour l'humanité, de parvenir à des connaissances certaines. Mais si l’idée de vérité est un piège, si l’ignorance est notre lot cela n’est pas triste, au contraire il faut demeurer dans la joie, apprendre à s’aimer tout en se sachant mortel, et en se méfiant des certitudes.

Francis Bacon (1561-1626)

Il montre, dans son Novum Organum, l'importance fondamentale de l'expérience pour établir des connaissances solides, il est donc un précurseur du mouvement empiriste.

Machiavel (1469-1527)

Penseur et philosophe politique italien, il fait référence à une vision politicienne cynique, tout en étant très soucieux du bien public. Selon lui le meilleur régime pour mobiliser les énergies populaires c’est la république mais parfois il est préférable d’avoir un prince plutôt qu’une république car il peut mieux réguler la grande corruption de la classe dominante. Sans illusion sur la nature humaine, il est réaliste, il amorce la philosophie des Lumières.

Science et Philosophie au XVIIème

L’Europe des Etats modernes se consolide, la papauté perd de son importance, la science moderne fait son apparition, et les grands philosophes sont aussi souvent des savants dans le domaine scientifique (Descartes, Pascal, Leibniz), aussi pensent ils que la science peut les aider à répondre aux grands problèmes fondamentaux. On a alors deux courants majeurs que forment le rationalisme  (Descartes, Leibniz) et l'empirisme (Hume, Locke). Pour les rationalistes la connaissance de la réalité c’est la pensée, pour l’empirisme la connaissance c’est l’expérience.

René Descartes (1596-1650) 

Il est dans la lignée de Socrate et de Platon, il est à l’origine de la philosophie des temps modernes. Il pense que le bon sens ou la raison est la chose au monde la mieux partagée. Dans le Discours de la méthode il établit une méthode simple fondée sur les mathématiques, ou il explique comment se servir de sa raison pour qu’elle devienne efficace.
·       N’accepter pour vrai que ce qui s’impose comme évident. Evidence
·       Décomposer les difficultés pour les résoudre élément par élément. Analyse
·       Établir un ordre de pensées, en commençant par les objets les plus simples jusqu'aux plus complexes. Synthèse
·       Passer toutes les choses en revue afin de ne rien omettre. Récapitulation
Importance du doute cartésien, je pense peut être faux, rien n’est sur, mais je pense « Je pense donc je suis ». A partir du cogito il reconstruit toute notre pensée, Dieu, la réalité, le corps. Descartes est un rationaliste, selon lui l’esprit humain possède des principes ou des connaissances à priori, indépendants de l’expérience, sa croyance en Dieu le conforte.

Baruch de Spinoza (1632-1677)

Il naît à Amsterdam dans une famille juive. La connaissance est essentielle et permet d’accéder au bonheur, le savoir peut conduire au salut. Nous croyons désirer ce qui est bel et bon en fait nous jugeons bel et bon ce que nous désirons. Il est rationaliste comme Descartes. Il est à l’opposé de Pascal qui réfute les philosophies liées à la raison et pour qui la seule vérité c’est le Christ. Pour lui Dieu c’est la natureL’homme par la seule pensée peut accéder à la vérité et au bonheur éternel.

Leibniz (1646-1716)

Il naît en Allemagne. C’est un mathématicien à l’origine de la notion de fonction, de puissance et de dérivée. Il rêve d’inventer une méthode universelle pour apporter la solution rationnelle à toutes les questions possibles. Son œuvre ardue et difficile constitue une sorte d’encyclopédie universelle des savoirs de son temps. Comment comprendre que Dieu existe et qu’il y ait autant de souffrances et d’horreurs dans le monde ? Selon Leibniz Dieu choisit ce qui est le moins mal pour l’homme et le monde.

Le siècle des Lumières au XVIIIème

La philosophie des Lumières cherche à dissiper les ténèbres de l'ignorance pour faire triompher la raison, éduquer les peuples (le projet encyclopédiste de d’Alembert et Diderot), et au niveau politique privilégier la démocratie, la tolérance et la souveraineté du peuple. La philosophie des lumières s’en prend à l’autorité traditionnelle, elle privilégie une morale indépendante de la théologie et à la conviction que le progrès humain est lié à celui des sciences. La philosophie des lumières est à l’origine de la Déclaration des droits de l’homme. Plus question de croire que l’on peut accéder à des vérités éternelles, plus question de douter du progrès, il doit nous conduire au bonheur, plus question que ces vérités soient réservées à quelques uns.

Voltaire (1694-1778)

Il n’a pas créé de concepts mais il incarne l’esprit philosophique de son temps et mène le combat des lumières contre le despotisme et la superstitionIl combat les erreurs et les idées fausses plus qu’il ne s’attache à élaborer de nouvelles vérités. Dans Les lettres philosophiques il critique le christianisme et attaque Descartes et Pascal. Il est un grand défenseur de la tolérance.

Diderot (1713-1784)

Il a contribué à ce que la philosophie devienne populaire. Son idée est que l’humanité en devenant plus libre politiquement devient moralement meilleure. Il ne fut pas seulement pédagogue il fut enchanteur, il est le premier philosophe résolument athée et matérialiste

Rousseau (1712-1778)

Pour lui la vérité s ‘éprouve avant de se prouver. Il critique l’idée des Lumières selon laquelle raison et sciences amènent le progrès. Il faut pour s’améliorer la primauté de l’éducation et un certain retour à la nature.

David Hume (1711-1776)

Il est à l’origine de l’empirisme : courant de pensée qui affirme que nos idées proviennent de l’expérience. Donc il va plus loin que les philosophes des lumières qui doutent de l’existence de vérités éternelles, ce que nous recevons en premier ce sont des sensations, ce sont les impressions, les idées qui nous viennent de notre raison sont liées aux croyances.
Avant l’invention de la philosophie par les grecs on expliquait le monde grâce aux mythes, comme dans de nombreuses autres civilisations. Puis les grecs ont inventé la philosophie. D’abord les présocratiques à la fois philosophes et savants qui expliquent le monde grâce à la physique.  Ensuite les philosophes classiques grecs expliquent le monde grâce à la raison (Socrate), l’expérience (Aristote) ou le sujet (Platon). Avec la naissance des religions monothéiste et surtout à partir du Moyen Age et durant 1000 ans les philosophes tenteront une synthèse entre foi et raison. A partir de la Renaissance et jusqu’aux Lumières on pense que l’on peut atteindre la vérité à travers la science, la foi, la raison et le sujet, deux grands courants : le rationalisme avec Descartes et l’empirisme (toute connaissance découle de l’expérience). A partir des lumières c’est le rôle majeur de l’homme et de la raison qui l’emporte. Plus question de croire que l’on peut accéder à des vérités éternelles, plus question de douter du progrès, donc il n’y a pas seulement l’Intuition et la raison il y a l’expérience.

Deuxième partie : Effondrement Incertitudes

Au XIXème Plusieurs courants

L’Idéalisme allemand

L’idéalisme allemand est une doctrine philosophique qui nie l’existence du monde extérieur, et réduit celui-ci aux représentations de la subjectivité. Les idéalistes pensent que le monde n’existe pas sans sujet pour le penser à la différence d’Aristote. Les philosophes se rendent compte qu’il ne faut pas seulement changer l’homme il faut jouer sur l’évolution sociale et politique.

Emmanuel Kant (1724- 1804)

Apres lui on ne considère plus la philosophie avec les même yeux. Kant sépare savoirs et croyances c’est en cela qu’il change la philosophie, Dieu, l’immortalité, la liberté ne peuvent faire l’objet d’un savoir mais d’une croyance. A une philosophie qui prétendait donner un système global de l’univers Kant substitue une philosophie du point de vue de l’homme qui répond à une seule question : Que peut notre raison ? (Que puis je savoir, que dois je faire, que puis je espérer ?).  Au coeur de la démarche kantienne, il y a le problème de la connaissance : comment pouvons-nous savoir? Il critique les rationalistes (la raison ne peut pas tout, elle est soumise aussi à l’illusion) comme les empiristes (toute connaissance découle de l’expérience). Il pense que perception et raison jouent un grand rôle et établit une différence entre l’apparence (phénomène) et la réalité (le noumène), mais pour lui la connaissance est avant l’expérience. C’est la révolution copernicienne. Kant veut fonder la philosophie sur des bases solides et affirmer que le centre de la connaissance est le sujet connaissant non une réalité extérieure.
Pour Kant il n’y a de morale qu’une volonté bonne, et elle est déterminée par la raison, tout acte n’est pas moral en soi c’est l’intention qui est morale.  Si j'éprouve du plaisir à faire le bien, je ne suis pas pleinement moral car je n'agis pas seulement par devoir mais aussi pour mon plaisir.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831)

Son œuvre a eu une influence décisive sur l'ensemble de la philosophie contemporaine. Il se sert des idées de Kant pour développer une nouvelle démarche de la pensée : le processus dialectique. Mode de réflexion qui peut s’adapter à tous les systèmes de pensée, toutes les croyances, toutes les civilisations, tous les discours. Il procède par contradictions en allant de l'affirmation à la négation et de la négation à la négation de la négation (on dit parfois : thèse, antithèse, synthèse). Toute réalité est un jeu de contradictions : mort et vie, être et néant etc. Ainsi le cycle de la nature : le bourgeon est détruit par la fleur qui est continuée dans le fruit. Le point de départ du savoir n’est pas la conscience mais le langage, la pensée se constitue dans le discours. Le négatif est créateur. La morale pour Hegel est proche de la morale de Kant. On n'est responsable que de ce que l'on veut, que de ce qu'on a librement décidé. Importance de l'intention. Être moral suppose une volonté bonne.

Schopenhauer (1788-1860)

Il a été influencé par Platon et par l’hindouisme. Ce qui nous apparaît dans l'expérience, ce sont les phénomènes et non les choses en soi, qui sont selon Kant inconnaissables. Schopenhauer pense que nous pouvons atteindre la connaissance grâce à la volonté, force vitale qui remet en cause la liberté, l’âme et la raison. Mais en même temps nous sommes esclaves de ce vouloir vivre, ou désirs et notre existence est toujours insatisfaite car nous oscillons entre la souffrance et l’ennui. Schopenhauer est pessimiste, sa morale est celle du renoncement, renoncer au désir et au vouloir,  grâce à la contemplation surtout esthétique puisque pour lui Dieu n’existe pas. Il influencera Nietzsche.

Alexis de Tocqueville (1805-1859)

Auteur de la démocratie en Amérique. Il croît en l’irréversible égalisation des conditions sociales, ce qui ne signifie pas égalité économique, il croît en la démocratie mais il en voit les défauts. Car avec la démocratie augmentent l’égalité et le souci du bien être et l’hypertrophie du bien être peut déboucher sur une forme d’indifférence envers la culture et envers les idéaux politiques.

Les philosophes du déterminisme

Stuart Mill (1806-1873)

Economiste britannique, il fut l'un des penseurs libéraux les plus influents du XIXème siècle. Selon lui plus l’individu a de liberté, plus il est heureux, c’est l’utilitarisme : toute idée est bonne si elle conduit au bonheur de tous, et mauvaise si elle lui fait obstacle.

Karl Marx (1818-1884)

Il est historien, économiste et sociologue, il pense comme Hegel que l’histoire peut donner plus de liberté et donc du bonheur. Il écrit avec Friedrich Engels Le Manifeste du parti communiste en 1948. Il pense que notre époque est déterminée par le capitalisme, système économique qui fait que quelques uns ayant les capitaux emploient des personnes sans argent pour fabriquer  des produits qu’il leur vend. L’argent est le moyen et le pouvoir universels. Il ne veut pas seulement interpréter le monde il veut le transformer. Il veut voir disparaître le salariat et l’exploitation de l’homme par l’homme. Il pense aussi que la révolution va anéantir le capitalisme et le remplacer par le communisme, un système sans le rôle de l’argent ou chacun pourra travailler pour lui et pour le collectif. Il croit au pouvoir révolutionnaire de la vérité. On pensait jusqu’à lui que les idées organisaient le monde. Marx renverse la philosophie c’est le matérialisme historique : ce sont les conditions matérielles qui engendrent des idées et non les idées qui façonnent les conditions matérielles.
Le marxisme a fini par inspirer de façon directe ou indirecte les régimes sous lesquels vivait au milieu du XVIIIème siècle plus d’un tiers de l’humanité. Il a été à la fois porteur d’un grand espoir, mais aussi la caution du totalitarisme. Le marxisme s’est scindé en deux : la social-démocratie (une révolution lente) et le marxisme-léninisme.

Soeren Kierkegaard (1813-1855)

Ecrivain, théologien protestant et philosophe danois, dont l’œuvre est considérée comme une première forme de l’existentialisme, un existentialisme chrétienIl remet l’individu au cœur de la philosophie, ce dernier doit mener une existence qui a un sens, il met le religieux au cœur de l’existence.

Friedrich Nietzche (1840-1900)

Il part du constat que la société contemporaine se caractérise par une crise des valeurs, issues du christianisme et basées sur une morale du ressentiment. L’homme se conduit comme un faible et se jette dans des valeurs proches du néant : totalitarisme, mythes, superstition, drogue, sommeil, et ce sont les faibles et les esclaves qui dirigent le monde. Celui qui veut l’égalité serait incapable de dominer, le désir de justice n’est qu’une rage ou un ressentiment. Donc il faut trouver un nouveau chemin pour retrouver les vraies valeurs qui sont liés à l’athéisme et il invente le surhomme ; ce n’est pas quelqu’un qui domine les autres c’est quelqu’un qui toujours s’invente et se dépasse ; c’est un homme libre, un créateur. Le fort c’est celui qui crée, l’artiste, le maître au sens d’artiste, celui qui risque tout en étant maître de soi. Il éclaire les valeurs d’une lumière inhabituelle. Nietzsche affirme que nous pouvons supporter nos peines en acceptant le tragique de la vie, il rejette l’idée de revanche, il dit oui à la vie. Pour lui les valeurs de la société sont mortes et les seuls qui les défendent sont les prêtres, les faibles et les esclaves. Il faut retrouver de nouvelles valeurs, Dieu est mort, d’ou l’idée de surhomme.
Nietzsche est un mystère, il peut affirmer quelque chose puis son contraire, il est constamment dans l’outrance, dans la contradiction, il ne faut surtout pas le prendre au pied de la lettre, c’est sans doute pour cela (et a cause de sa sœur Elizabeth et de sa folie) que les nazis ont pu l’annexer. Le nazisme a déformé sa pensée, le surhomme n’est pas un exterminateur. Ses 11 années de folie et de silence sont elles un masque ou une vraie démence ?

Trois nouveaux courants voient le jour : La psychologie, La sociologie, L’anthropologie

La psychologie de Sigmund Freud et de Karl Jung :

Sigmund Freud (1856-1939)

Médecin et pionnier de la psychanalyse (à la fois description de l’âme humaine et méthode pour soigner les souffrances psychiques). Il se défend d’être un philosophe, car pour Freud la raison seule n’explique pas les conflits entre l’homme et son milieu pour lui il y a les pulsions et les désirs c’est le ça, notre moi et la société régulent ce ça et nous l’intériorisons c’est le sur moi. Il a mis en lumière l’inconscient = les idées refoulées surtout sexuelles qui reviennent dans les rêves et cet inconscient provient de conflits entre ce que chacun désire et la réalité. Certaines personnes ont du mal à gérer leurs désirs refoulés et ces conflits. Avant lui l’inconscient c’était les forces vitales inconscientes, sans pensée (ongles qui poussent, poumons qui respirent). Pour Freud chaque inconscient est singulier (c’est ce qui l’oppose à Jung) Tout dépend de ce que sont ses parents sa famille, les accidents de sa vie infantile, son milieu social, son environnement historique.
Pourquoi le psychisme se construit-il à travers les conflits ? Cela vient de l’enfance et de l’existence de la sexualité infantile, autre découverte de Freud : orale, puis anale puis génitale. Pour Freud le sujet ne s’appartient pas il est divisé, je rêve sans savoir ce qui s’exprime dans ces images et ces histoires. Le sujet est divisé entre une pulsion de vie (désir de répétition d’une satisfaction) et une pulsion de mort (qui refuserait l’existence pour retrouver l’état antérieur à la naissance et à l’individuation). L’histoire et la culture sont aussi traversées par ces deux pulsions (force de vie, Eros qui rassemble et forces de mort Thanatos qui détruit). Aussi Freud influe sur la philosophie à travers la psychanalyse, comme Nietzsche il met à jour une fêlure entre la vérité et le savoir, dans ce que l’on pense il y a de l’impensé, la vérité se détache du savoir, mais il ne fait pas l’éloge des forces obscures. Freud indique une voie étroite pour acquérir autonomie et liberté, elle chemine entre les forces obscures et leur compréhension, entre une lucidité accrue et un pessimisme ultime. Ce que je sais consciemment se double désormais, d’autres formes de vérité, qui se développent et se transmettent à mon insu.
Carl Gustav Jung (1875-1961) médecin et psychiatre suisse conteste la primauté de la sexualité et affirme qu’il existe un inconscient collectif (les archétypes de l’inconscient collectif) qui ont des origines dans les mythes et les légendes.

La sociologie

Max Weber (1864-1920)

Sociologue et économiste allemand, selon lui le capitalisme est très lié au protestantisme, pour le calviniste la réussite économique est le gage qu’il est élu mais il doit mener une vie très simple. Il pense comme Marx que la structure économique est l’infrastructure de la société, mais selon lui ce sont les superstructures qui influencent l’infrastructure ; pour Marx c’est le contraire. Les progrès scientifiques et techniques n’entrainent pas obligatoirement le progrès de la morale, de la culture et le bonheur des hommes.

L’anthropologie ou le rôle essentiel de la culture

David Émile Durkheim (1858-1917)

Sociologue, il pense que les idées les plus importantes sont celles que tous les membres d’une même société partagent. La culture est un système lié à la réalité sociale ; la société est une créature vivante constituée d’éléments isolés qui s’assemblent pour former un tout et agir en tant que groupe autour de cette culture ou conscience collective. L’explication d’un fait social doit être recherché dans un autre fait social ; ainsi le suicide croît en été ce n’est pas du a l’augmentation de la température c’est lié à l’intensité sociale qui varie selon les saisons.

Jean Jaurès (1859-1914)

Orateur et parlementaire socialiste, il s'est notamment illustré par son pacifisme et son opposition au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Historien et journaliste, il fonde l’Humanité et dirige le journal jusqu’à sa mort. Le socialisme de Jean Jaurès mêle le marxisme aux traditions révolutionnaires et républicaines françaises, il est souvent qualifié d'«humaniste». Jaurès retient du marxisme l'idée du danger de la concentration capitaliste, la théorie de la valeur de l'unité du prolétariat. Jaurès est évidemment favorable à des lois de protection sociale. Il veut la démocratisation de la propriété privée et non sa destruction, il est attentif aux mouvements coopératifs.
A partir de Kant et du XIXème une série de morts est constatée : celle du roi, de dieu, de la vérité, du sujet. Avec Kant la vertu ne suffit pas, l’essentiel est le sujet non la réalité extérieure, il y ajoute l’intuition et les concepts, Hegel ajoute la responsabilité. Il ne suffit pas d’être vertueux, il faut d’autres composants : sociologie, psychologie, sciences, politiques. La raison que les philosophes des Lumières ont tant revendiquée a perdu son aura, qui jusqu’au XIXème régnait, avec l’industrialisation, la colonisation et la barbarie elle est soupçonnée, on doute d’elle. Déjà Marx avait ébranlé le système économique et historique, Nietzsche l’idée de vérité, Freud l’idée de sujet, et au XXème on recherche dans la raison la source de ces malheurs (la Terreur n’est jamais loin de l’égalité); certains en viennent même à annoncer la fin de la philosophie.

Le début du XXème siècle jusqu’à la deuxième guerre mondiale

Le Pragmatisme américain

Dans la tradition philosophique depuis toujours, la vérité quand elle existe est immuable, s’il en va autrement ce n’est plus une vérité c’est une opinion, une croyance. Pour William James (1842-1910), père du pragmatisme avec Charles Sanders Peirce, vérité et croyance c’est pareil, la vérité pour lui est une croyance qui marche. La vérité ou la valeur d’une idée dépend donc des résultats pratiques. Pour John Dewey (1859-1952), la philosophie, doit accompagner l'évolution du monde et lui donner un sens, de façon à apporter au monde une certaine harmonie. La pensée sert à résoudre les problèmes et l’éducation et la liberté personnelle peuvent nous y aider. Il s’intéressera à la fois à l’éducation et à la démocratie, qui est pour lui une manière de vivre plus qu’une forme de gouvernement à condition que l’on ne dépossède pas le peuple de son pouvoir en faisant appel aux experts ou en complexifiant les questions. Le pragmatisme est surtout enseigné aux Etats Unis. Mais il a eu une grande influence, pour Bergson, Deleuze.

Henri Bergson (1849-1941)

Il ne construit pas de système il traite dans chaque livre un sujet nouveau, son enseignement est d’une clarté exemplaire mais sa pensée a été fabuleusement laissée à l’écart. Son œuvre : L’évolution créatrice et Le Rire. Bergson oppose durée de la conscience et temps scientifique, c’est à dire temps de l’existence et temps scientifique, ainsi selon nos émotions, notre excitation ou notre ennui, le temps s’accélère ou ralentit. Pour lui la vérité n’est jamais dans le figé, le fixe, l’immuable, elle est création et changement. Il met en lumière le rôle de l’intuition. Il est à la fois proche des scientifiques (il applique la démarche expérimentale) et proches des métaphysiciens et spiritualistes.

La nouvelle logique ou philosophie analytique

La logique (théorie de la connaissance) était un aspect important de l’œuvre d’Aristote, elle a influencé le Moyen Age puis a perdu de son influence. Elle revient au début du XXème les philosophes en font un instrument d’analyse précieux au service des mathématiques puis de la réalité et du langage.

Ludwig Wittgenstein (1889-1951)

Philosophe autrichien, fils d’une famille juive richissime (on raconte qu’il aurait été dans la même école qu’Hitler et qu’il serait le juif brillantissime dont Hitler voudra plus tard se venger) Il ne fait pas de la philosophie, il la défait. «  La solution du problème que tu vois dans la vie c’est une manière de vivre qui fasse disparaitre le problème »  « Ce qu’on ne peut dire il faut le taire ». Il démontre que la logique reflète la structure de la réalité qui est elle même la base de la structure du langage, on ne peut accéder à la vérité et à la réalité sans passer par le langage. Avec Wittgenstein le langage devient question fondatrice.

Troisième Partie : Apres la Barbarie

Les deux grandes idéologies : le fascisme et le communisme ont amené l’homme à penser qu’il peut changer l’histoire, or elles ont conduit à la barbarie. La pensée contemporaine se confronte à un problème nouveau son impuissance. Le rationalisme est mis à mal. Mais devant l’absurdité du monde les philosophes ne démissionnent pas. Certains ne s’en préoccupent pas et élaborent des concepts centrés sur la science qui se désintéressent du vécu individuel, d’autres pensent que la vérité est une illusion et accordent une place fondatrice à l’existence du sujet.

Le Règne de la critique : L’Ecole de Francfort

L’école de Francfort est un mouvement philosophique, née dans les années 1930 qui analyse les évolutions de la société contemporaine afin de transformer la société et d’aider à l ‘émancipation des opprimés.

Theodor W. Adorno (1903-1969)

Philosophe, sociologue, compositeur et musicologue allemand. Il est avec Herbert Marcuse et Max Horkheimer l'un des principaux représentants de cette école. La raison qui à l’époque des Lumières devait libérer l’homme est devenue un outil d’aliénation et de domination, la technique moderne sert à la destruction et à l’anéantissement. Pour l’école de Francfort, le régime capitaliste a instrumentalisé la raison pour dominer, la révolution russe n’a pas apporté le bonheur. Cette école désigne les obstacles à ce bonheur : la religion toujours, la culture (qui se transforme en biens de consommation) la science et les techniques (qui améliorent les rendements et ne profitent qu’à une minorité)

La Phénoménologie

La phénoménologie («allumer sa propre lumière») essaye de réconcilier l’expérience vécue et la logique scientifique. Il faut être attentif à l’expérience que nous avons du phénomène, les idées ne sont pas simplement objectives, la réalité et notre conscience sont des éléments qui s’opposent. C’est vraiment le retour aux choses mêmes.

Bertrand Russell (1872-1970)

Aristocrate britannique, humaniste, mathématicien, philosophe et politique. Il découvre qu’en mathématiques tout se prouve, mais qu’elles reposent sur des axiomes impossibles à prouver. (Axiome = proposition évidente mais non démontrable) Il va appliquer l’axiomisation mathématique à la philosophie analytique. Toute sa vie il s’est demandé si l’être humain pouvait connaître quelque chose avec certitude, en mathématique oui, en philosophie non. Selon lui, dans le domaine de l’éthique il n’y a en définitive que sentiments et croyances. Il faut que ces croyances soient le moins nuisibles possible, donc se fonder sur les meilleurs sentiments, sur l’empathie afin de diminuer la quantité de souffrances et d’injustices dans ce monde.

Edmund Husserl (1859-1938)

Philosophe et mathématicien allemand, il est juif et sera empêché d’enseigner par le régime nazi sans que Heidegger n’intervienne. Il se sert de la logique et des mathématiques pour transformer la philosophie en connaissance rigoureuse de la subjectivité, par une approche méthodique des faits de conscience, il veut lui donner de nouvelles bases. Il faut mettre entre parenthèses les idées reçues afin qu’elles ne fassent pas d’ombre à notre propre expérience, il essaye de faire tenir ensemble les deux versants de la philosophie (le concept et le sujet). Il cherche à étudier non le monde tel qu’il est mais le monde tel que nous le voyons. Pour cela Husserl se sert de l’époké : ce retrait suspensif devant le monde. Au doute cartésien Husserl substitue la méthode époké, la mise entre parenthèse du jugement.

Martin Heidegger (1889-1976)

Il se focalise sur l’être (la conscience individuelle). La philosophie traditionnelle ne peut répondre à la question qu’est ce que l’être car elle a oublié l’être et essayé de décrire l’être-Dieu comme sa forme la plus parfaite. Mais l’être ne peut être séparé des relations sociales, il est à l’origine de l’existentialisme avec Sartre qui pourtant minimise les relations sociales. Selon lui dés Platon la conception logicienne et démonstrative de la vérité se substitue à la pensée grecque originelle qui elle est proche de l’être, et cette conception triomphe dans la philosophie, dans les sciences et les techniques. En même temps il y a chez Heidegger une haine de la modernité, du cosmopolitisme, une détestation de la technique un mépris de la modernité et surtout il y a cette face sombre qui entache son œuvre c’est l’attachement qu’il a eu pour Hitler, certains le nient d’autres le minimisent mais pourtant il fascine beaucoup les philosophes français.

L’existentialisme et Jean Paul Sartre (1905- 1980)

Il fut un véritable maître à penser, pourtant il ne donne ni conseil ni consigne. Pour lui nous sommes responsables de ce que nous devenons, c’est l’engagement qui est essentiel (L’être et le Néant). La liberté du sujet est souveraine, elle est intégrale et engage notre responsabilité, c’est écrasant aussi nous faisons tout pour l’esquiver, d’ou notre mauvaise foi et en même temps il y a les autres, il faut vivre ensemble, or le regard de l’autre nous révèle et nous déforme. Comment alors pouvons nous élaborer une morale ? Dieu n’existe pas dit Sartre mais tout n’est pas permis, il propose une solution : il refuse l’idée de loi divine ou de nature il propose l’acceptation : Vouloir ce que l’on fait. L’existentialisme considère l’homme comme une autoproduction libre, seul dans un univers sans Dieu.

Carl Schmitt (1888-1985)

Professeur de droit, philosophe et intellectuel catholique allemand. Il s'engage dans le parti nazi dès 1933 et se veut le juriste officiel du IIIe Reich. Il n’est pas seulement un idéologue nazi. Il est antilibéral. Il incarne comme Heidegger, Gramsci ou Luckas l’exigence de radicalité absolue en politique. Exigence de pureté des concepts politiques comme pour la foi donc danger, du totalitarisme (communisme, maoïsme, nazisme). A dieu on substitue l’état, le peuple, le prolétariat, les opprimés, la race, la nation. On ne peut excuser Schmitt, mais on peut comprendre son égarement révélateur de cette tragédie de la politique que l’on peut retrouver aujourd’hui aussi chez les alter mondialistes ou dans les extrêmes.

Simone Weil (1909-1943)

Philosophe française, née à Paris dans une famille juive agnostique. Pour cette helléniste, Pythagore et Platon sont les derniers authentiques philosophes. Aussi s'y réfère-t-elle souvent dans ses écrits tout autant que dans sa vie. Elle pensait que tout homme, « même si ses facultés naturelles sont presque nulles, pénètre dans le royaume de la vérité réservée au génie, si seulement il désire la vérité et fait perpétuellement un effort d’attention pour l’atteindre » « par la souffrance la connaissance ». Les hommes  « aussi bien oppresseurs qu’opprimés » sont le « simple jouet des instruments de domination qu’ils ont fabriqués eux-mêmes ». Les causes essentielles en sont la course à l'argent et le manque d'éducation. A la fin de sa vie elle se rapproche de la religion chrétienne. Pour elle, existent non les droits mais les devoirs de l'homme envers l'homme.

Le structuralisme

Il existe, des structures pour toutes les activités sociales, en architecture, la structure c’est l’ossature des bâtiments, pour la langue, il y a aussi classification des sons. Il faut donc dépasser les faits empiriques.

Ferdinand de Saussure (1857-1913)

Linguiste suisse, fondateur du structuralisme en linguistique, il a influencé Claude Lévi-Strauss et Jacques Lacan. Pour lui le langage est un système qui dépend de deux éléments distincts : le signifié (la chose) et le signifiant (image acoustique du mot) la relation entre ces deux éléments dépend des convenances, il n’y a pas de liens. L’être est défini par le langage, on ne peut se considérer comme une personne à part, on est lié aux autres, à leur système de pensée qui utilise le langage. Il différencie langage (faculté de s’exprimer) et langue (ensemble de signes) et langage et parole (utilisation concrète des signes)

Roman Ossipovitch Jakobson (1896-1982)

Penseur russe,  linguiste, il s’inspire de Saussure et utilise le structuralisme pour analyser des domaines aussi différents que la mythologie, le folklore, l’art, la littérature, et la critique littéraire. Pour lui tous les actes de communication dépendent de 6 éléments : le locuteur, le récepteur, le message, le code, le contexte, le contact. Pour la poésie c’est surtout le message qui est important.

Claude Lévi-Strauss (1908-2009)

Anthropologue et ethnologue français qui a exercé une influence décisive sur les sciences humaines dans la seconde moitié du XXème siècle. Professeur de philosophie à Sao Paulo il effectue de nombreuses missions en Amazonie, ce sont ses années de terrain, puis révoqué de l’enseignement par Vichy, il va à New York ou il découvre la méthode structuraliste. Claude Lévi-Strauss a appliqué à l'anthropologie l'analyse structurale. Son travail porte sur l’humain, il ne croit plus au progrès tel qu’on l’imaginait au XIXème, il renouvelle l’approche des relations entre concret et abstrait : un panier, une parure, un masque se mettent à parler et sont porteurs de sens; du coup la coupure entre sensible et intelligible, monde des choses et des idées, entre sciences (idées) arts (sensations) est contournée. Il fait voler en éclat l’idée même d’une civilisation supérieure à une autre et met en cause l’évidence acquise du règne humain sur la nature. Dans « Tristes Tropiques » : la civilisation occidentale si arrogante n’apporte que tristesse aux peuples primitifs. Pour lui la culture fonctionne comme le langage et est le reflet de la nature de l’esprit humain, ainsi les mythes permettent aux cultures de gérer les questions fondamentales comme la mort, la maladie, car il est plus facile de gérer ces difficultés si elles entrent dans des structures ; les individus les considèrent comme des éléments naturels. Pour lui les bases de la vie en société sont : l’interdiction de l’inceste, le partage sexuel des tâches, et une forme reconnue d’union sexuelle (nécessité de l’échange dans le mariage).

Louis Althusser (1918-1990)

Philosophe français, membre du Parti communiste, à l'origine d'un important renouvellement de la pensée marxiste dans une perspective généralement associée au structuralisme. Il débarrasse Marx de l’interprétation communiste. En dépit des démentis de l’histoire, il croie à la possibilité d’une reconstitution du marxisme et d’une résurgence des mouvements révolutionnaires. Ce n’est pas le Marx humaniste et moral qui proteste contre les souffrances des prolétaires qui l’intéresse, c’est le penseur d’une vérité scientifique, d’un savoir nouveau qui transforme l’économie et l’histoire en une science révolutionnaire. Il pense que la connaissance historique peut devenir une science (En cela il s’oppose à Raymond Aron qui voit l’histoire en terme d’imprévisibilité et à Sartre qui pense que les évènements historiques sont fruits de convergences et d’actes individuels).
Althusser est à la fois philosophe, militant et sujet souffrant, il a des crises de folie. Dans son autobiographie L’avenir dure longtemps il pose la question des relations entre raison et folie. Nous sommes tous d’anciens combattants de cette guerre contre la démence, en général les philosophes sont du bon côté, on admet mieux qu’un peintre, un musicien ou un poète puisse côtoyer la folie. Et pourtant plus on sait moins on y voit clair, entre philosophie et folie la frontière s’estompe.

Guy Debord (1931-1994)

Ecrivain, cinéaste et révolutionnaire français, il a été l'un des fondateurs de l’Internationale lettriste puis situationniste (1957-1972), dont il a dirigé la revue française. Dans La société de spectacle il critique la société de consommation et le capitalisme d’Etat, il  y dénonce les médias qui remplace la mémoire et les images qui tiennent lieu de réalité. Il est à la marge, proche des surréalistes, conteste tout, le régime capitaliste comme les régimes socialistes mais comme Althusser il appelle à la révolution, il associe artistes et révolutionnaires, il prône l’abolition du travail, la liberté des mœurs, l’autogestion et combat le spectacle comme propagande de l’esprit capitaliste et de toutes les marchandises.

Jacques Lacan (1901-1981)

Médecin, psychiatre français, il prône un strict retour à Freud, son approche de la psychanalyse est essentiellement linguistique. Il montre que l’inconscient s'interprète comme un langage. Dans sa description du Stade du Miroir, il distingue 3 registres: l'imaginaire, le symbolique et le réel. Sa Forclusion du Nom du Père (c'est à dire la mise à l'écart du sujet, puis la tentative d'un retour par l'extérieur, sous la forme d'un délire) est une théorie qui autorise la compréhension intime des mécanismes délirants. Jacques Lacan a en effet montré que le discours psychotique avait un sens, qu'il était accessible à l'interprétation. C'est cette interprétation qui autorise le soin du patient. Pour lui l’inconscient est structuré comme le langage et le conscient se rapproche de la parole. La langue primant sur la parole, l’inconscient est plus important que le conscient. Si Freud a révolutionné la conception que l'homme avait de lui-même par la découverte en lui de cet immense continent insoupçonné qu'est l'inconscient, Lacan va aller plus loin pour contester à l'homme sa propre réalité consciente. L’homme, non seulement ne peut être compris sans la folie, mais ne serait pas humain s’il ne portait déjà en lui la folie. Langage et inconscient sont intimement liés, l'inconscient est structuré comme un langage, avec sa syntaxe, ses lois et ses caractéristiques propres. Ce qui caractérise l'être humain est bien le fait qu'il parle: "l'homme est un parlêtre". Le signifiant psychanalytique est une trace dans l'inconscient. Le conscient est formé de représentations de mots. L’inconscient est formé de représentations de phonèmes et de choses. Ce sont des choses qui concernent notre corps, et qui souvent furent vécues avant la parole, durant la petite enfance (une odeur, une image, une cicatrice).
Les psychanalystes liés à Freud affirment que nous devons protéger notre égo (moi conscient) des désirs refoulés, Lacan s’y oppose, notre égo est notre ennemi. Pour lui la psychanalyse ne guérit pas vraiment elle est un enseignement qui permet aux individus de se soigner eux mêmes. Mais il a été et est encore très contesté.

Les post structuralistes ou Humanistes

Les structuralistes définissent le langage comme une structure dont les règles fonctionnent plus ou moins indépendamment des sujets auxquels le langage fait référence. Le post structuralisme à la lumière de la phénoménologie est la remise en cause des notions de sujet (Michel Foucault) de sens (Derrida) de raison (Deleuze)

Paul-Michel Foucault (1926-1984))

Philosophe français, qui paraît assez désordonné, il crée une foison de concepts puis les abandonne pour en créer de nouveaux. Il fait de l’histoire au présent, il ne reconstitue pas le passé, il étudie sur la longue durée des phénomènes : le fou, le malade, la prison, le sexe, l’homme. Il remet en cause la notion de sujet. Il fait une archéologie du savoir, une étude des manières successives dont s’organisent les savoirs aux différentes époques. Ainsi pour le fou, au Moyen Age il est proche du divin, prophète, puis il est dangereux, malade et on doit l’enfermer à l’époque des Lumières non pour le soigner mais pour l’exclure, ensuite pour le soigner. On n’a pas libéré le fou : on l’a aliéné. Ainsi les valeurs de raison et de liberté ont conduit à l’enfermement et celui qui n’est pas enfermé se sent libre et raisonnable. Il nous montre que nos plus exacts savoirs sont transitoires et mortels. En 1975 paraît Surveiller et Punir : au XIXème on exhibait le corps du condamné, on le disloquait, l’amputait, aujourd’hui on le cache, on le dresse on le rééduque. C’est une plus grande humanisation mais c’est surtout un changement dans l’organisation du pouvoir. La vérité n’est pas, il n’y a que des discours historiquement repérables. Pour Foucault il n’y a pas un seul pouvoir, le pouvoir de l’état mais des micros pouvoirs. Il critique les normes et les mécanismes aveugles de pouvoir qui s'exercent au travers d'institutions en apparence neutre (la médecine, le marché, la psychiatrie, l'art). Dispositifs de savoir et dispositifs de pouvoir sont deux faces d’un même processus. Comme Nietzsche il ne croit pas à la vérité, comme Marx il quitte la philosophie pour la perspective historique, mais Marx croit encore à la science et au vrai, Foucault invente une autre conception du pouvoir : la pensée est le reflet des structures du pouvoir. Aussi une idée n’est pas juste en soi, mais elle le devient du fait des conditions historiques. Pour Foucault la philosophie est un acte politique qui peut, soit opprimer, soit libérer selon qu’elle dévoile ou dissimule la manière dont le pouvoir s’exerce par le biais de la connaissance. En Occident la vérité est le résultat d’un agencement de pouvoirs en lutte et non une réalité éternelle. Il est à la fois historien et philosophe, il est l’intellectuel destructeur des évidences et des universalités, il ne fait pas la morale, il ne sait pas au juste ce qu’il pensera demain car il est très attentif au présent. Il est très attaché à la notion de liberté.

Gilles Deleuze (1925-1995)

Philosophe français il a écrit de nombreuses œuvres philosophiques très influentes, sur la philosophie, la littérature, le cinéma et la peinture, il développe une philosophie de l’art  originale. Il fut à la fois historien et philosophe, et créateur de concept : « la philosophie n’est pas à découvrir, il faut l’inventer ». Il se réclame le philosophe de la joie et de la vitesse, la joie n’est ni facilité ni euphorie elle se trouve dans le terrifiant et l’horrible. Il dit tout cela en vitesse, c’est sa manière singulière d’exister, le texte de Deleuze est un tourbillon. Son humour aussi, sous l’humour l’inquiétude. Il n’a pratiquement rien dit de lui même, le moi est inutile pour aller vite. Il remet en cause la raison, sa pensée est liée à l’expérience de la vie plus qu’à la raison, il se laisse porter par les courants du dehors, il est expérimentateur il emprunte pour cela aux philosophes et aux littéraires (Zola, Joyce, Proust, Kafka) aux artistes (peintres et cinéastes). Il n’est jamais seul, avec Félix Guattari, il crée le concept de déterritorialisation, menant une critique conjointe de la psychanalyse et du capitalisme. Le capitalisme est la forme la plus terrible de la domination qui produit des schizophrènes ce qui est une manière de contourner le capitalisme. La philosophie n’a donc pas affaire à des vérités éternelles. Elle ne peut livrer bataille contre ces puissances que sont les religions, les états, le capitalisme, la science, le droit, la télévision. Elle ne peut que les harceler. La majorité ne passe pas par le nombre, il faut savoir être minoritaire. Il ne croit pas à la révolution globale qui selon lui générerait de nouveaux types de souveraineté. Il faut faire en sorte que les gens pensent et trouvent des lignes de fuite, qu’ils aient la sagesse du milieu. Deleuze est un des plus grands philosophes contemporain, il dit que la philosophie est affaire de création plutôt qu’histoires et textes, il faut construire des systèmes et chacun doit suivre ses voies secrètes.

Jacques Derrida  (1930-2004)

Il remet en cause la notion de sens. Il a crée la notion de déconstruction, méthode d’analyse des termes, la signification d’un mot ne dépend pas tant de ce à quoi il fait référence que de la manière dont il s’apparente aux autres mots ou s’en différencie. La philosophie traditionnelle depuis Platon s’élabore à partir de dualisme : âme/corps ; sensible/intelligible ; masculin/féminin ; nature/culture. Toute son œuvre consiste à déconstruire inlassablement les couples d'oppositions telles que parole et écriture dans la linguistique, raison et folie dans la psychanalyse, sens propre et sens figuré dans la littérature, masculin et féminin dans la théorie des genres. Il dit que le langage ne peut se référer à une situation stable. Il a toujours été porté vers l’écart, l’errance, la digression, le décentrement, l’illimité, le hors frontière, le retrait, la bigarrure. En politique il est très attaché à la notion de justice.

Emmanuel Levinas (1906-1995)

Il a reçu dès son enfance une éducation juive traditionnelle, principalement axée sur la Torah.  Il réintroduit la notion d’autrui et la responsabilité vis à vis d’autrui en même temps il dit l’importance de l’état démocratique qui doit être garant de la justice et de la pluralité des échanges. A la barbarie et à l’horreur nazi il répond par la présence de l’autre, il pose comme point de départ l’exigence de l’aide et de la compassion, la priorité de l’autre sur moi.

Jean François Lyotard (1924-1998)

Sa pensée est difficile à classer, elle est au carrefour de la philosophie, de la linguistique et de la critique littéraire. Le savoir est de plus en plus dépendant de la technologie et de la communication, d’ou de nouveaux jeux de langage qui ne revendiquent pas une vérité absolue, mais rendent compte des changements perpétuels. L’objectif n’est pas de découvrir la vérité universelle mais de structurer le jeu des individus qui communiquent entre eux. Des questions comme quel est le sens de la vie ? Où que veut dire être bon ? Auront de moins en moins de raison d’être posées car le savoir sera de plus en plus lié à des situations données.

Pierre Bourdieu (1930-2002)

 Agrégé de philosophie en 1954, il est mobilisé en Algérie entre 1955 et 1958, où il entreprend ses premières recherches comme sociologue. Il a révolutionné non seulement le champ de la sociologie mais aussi la philosophie, l'anthropologie, l'esthétique, les rapports dominants/dominés et inventé de nouveaux concepts qui, aujourd'hui, demeurent de plus en plus pertinents pour décrypter et agir sur le réel. Tout au début des Méditations pascaliennes, Bourdieu confesse que, s'il lui fallait à tout prix reconnaître une affiliation, il préférerait sans doute, à tout prendre, se dire pascalien plutôt que marxiste. Il a de la considération pour les "opinions du peuple saines". Il a su par la sociologie nous faire découvrir plus de grandeur dans le commun des hommes et plus de bassesse dans ceux qui sont les plus élevés. Il est très attaché à la notion d’égalité.
La culture et Bourdieu : la domination d'un certain groupe social ne dépend pas seulement de la disposition de ressources matérielles, mais peut aussi résulter de l'accumulation de biens symboliques comme le savoir, la culture, les relations. L’habitus se manifeste dans les attitudes corporelles, dans les manières de s'habiller, de se tenir à table, dans les goûts et les pratiques culturelles. La domination repose sur l'habitus : les dominés partagent avec les dominants une vision du monde qui leur assigne leur place dans l'espace social, et qui se traduit par le sentiment d'illégitimité. La culture héritée, celle transmise par la famille, est plus valorisée que celle inculquée par l'école.

Herbert Marcuse (1898-1979)

Sociologue et philosophe marxiste américain, membre de l’Ecole de Francfort, il dénonce la rationalisation excessive de la société. Sa pensée est fortement inspirée de la lecture de Marx et de Freud.  Il est notamment l'auteur d'Éros et Civilisation et de L'Homme unidimensionnel, qui démontrent le caractère inégalitaire et totalitaire du capitalisme des « Trente Glorieuses ». La rationalisation de l’organisation administrative et économique entraine une instrumentalisation des hommes, qui servent le pouvoir. Contrairement à Freud, qui voyait dans le principe de réalité la nécessité de la sublimation répressive des désirs, Marcuse préconise, en s’inspirant du jeune Marx, l'éclosion des désirs, l'abolition du travail aliéné et l'avènement d'une science et d'une technique nouvelles au service de l'être humain. Il ne remet pas en question l'essentiel des théories freudiennes, il les adapte à son temps et en les libérant d'une conception bourgeoise de la société pour les rendre émancipatrices et véritablement universelles. Marcuse est important pour les mouvements écologistes aujourd'hui, car il fut l'un des seuls à penser qu'une société non-répressive impliquait aussi un changement dans les techniques, là où Marx pensait qu'un changement dans les rapports de production était suffisant.
Les catastrophes de ce siècle ont atteint les philosophes dans leur corps et aussi dans leur esprit. Elles ont remis en cause la foi dans le pouvoir et la raison. Apres le règne de la raison, de la science et de Dieu après le doute cartésien et après Kant qui sépare savoir et croyance, arrive avec Husserl l’ époké ou phénoménologie, le philosophe se met en retrait. La transdisciplinarité s’impose. Les frontières entre les différentes sciences humaines et sociales et la philosophie sont plus floues, l’interdisciplinarité s’accélère. Difficile de dire si Bourdieu, Lacan, Debord ...  sont des philosophes.

Quatrième Partie : La Pensée occidentale en mutation 

En ce début du XXIème siècle nous retrouvons différentes familles de philosophes, ceux qui refusent l’exercice du pouvoir, sous toutes ses formes et ceux qui cohabitent et ceux qui essayent de transformer le monde et qui tentent tant bien que mal de le concilier avec leurs idéaux et ceux qui s’inspirant d’autres valeurs s’ouvrent à l’interculturalité. Mais tous les philosophes, comme les penseurs du passé doivent élucider les problèmes, les comprendre, les assumer. Sans les problèmes nous ne sommes plus des hommes libres et responsables. Tous les philosophes contemporains essayent de les résoudre à leur façon.

Les postmodernes

En philosophie le postmodernisme serait la remise en question des concepts fondamentaux : le règne de la raison et du progrès est désormais dépassé certaines idées et pratiques ne sont plus d’actualité, par quoi peut on les remplacer ? Ce changement est il un bien ou un mal ?

Francis Fukuyama (1952- )

Philosophe, chercheur en sciences politiques américain d'origine japonaise, économiste conservateur, il défend l’idée dans La Fin de l’Histoire que la progression de l'histoire humaine, envisagée comme un combat entre des idéologies, touche à sa fin avec le consensus sur la démocratie libérale avec la fin de la Guerre froide.  Dans la Fin de l’homme il exprime ses inquiétudes face aux progrès des biotechnologies et en particulier de leurs applications possibles sur l'être humain. Il présente l’ère du postmoderne comme le triomphe de la démocratie capitaliste libérale, or c’est très contesté aujourd’hui. Ainsi la Chine ou l’économie capitaliste n’a pas remis en cause  le pouvoir politique autoritaire. Il ne reconnaît aucun autre système politique concurrent à la démocratie libérale. La théocratie islamique à l'Afghane ou l'Iranienne est écartée d'un revers de main en un seul paragraphe. Pour lui il y a trois caractéristiques indispensables en politique : un Etat fort, des lois (et des institutions) et la démocratie qui le limitent.

Marcel Gauchet (1946 - )

Historien et philosophe français, structuraliste (ensemble formel de relations) et phénoménologue (expérience), il nous éclaire sur différents sujets.
L’évolution de l’état : pour lui c’est le monothéisme qui crée l’individualisme, l’inégalité et un état fort (les  premières sociétés où les dieux étaient multiples étaient des sociétés plus égalitaires et, non hiérarchisées ou il n’y avait pas besoin de chef). En Europe il y a eu vers l’an mille une rupture : la transformation de l’Eglise en est l’origine, c’est la réforme grégorienne, (c’est une prise de pouvoir par les moines à l’intérieur de l’Eglise contre les prélats corrompus). Autre rupture : les guerres de religion (1500-1600), pour obtenir la paix il faut une instance au dessus des passions humaines fussent elles religieuses. C’est le droit divin, il est absolu. La Révolution française confère aux droits de l’homme une portée universelle et devient la norme des communautés humaines. L’exécutif ne peut être que très étroitement subordonné au législatif par lequel s’exprime la volonté générale de la nation, difficulté d’instaurer un troisième pouvoir (le judiciaire) qui doit empêcher toute dérive usurpatrice ou totalitaire. Aujourd’hui l’Etat est descendu de son piédestal, on ne lui demande pas de nous indiquer l’avenir, ce que l’on doit croire (chacun peut croire ce qu’il veut) mais on lui demande la sécurité pour que puissent s’épanouir le marché des libertés privées.
Il explique ainsi l’antisémitisme et le nazisme : l’Allemagne par sa religion est un christianisme authentique qui aurait rompu tous les ponts avec le judaïsme, le catholicisme est le prolongement du judaïsme à l’intérieur du christianisme. La religion allemande fait de l’Allemagne une nation dépositaire du christianisme universel, comme les juifs, d’où l’affrontement de deux messianismes. L’antisémitisme allemand est différent de l’antisémitisme chrétien ou russe et polonais, on peut maltraiter les juifs (pogroms) mais pas les exterminer.
L’avenir et l’Europe : L’Europe telle que nous la voyons aujourd’hui c’est une possibilité de s’émanciper des vieux cadres étatiques et nationaux, c’est mettre en exergue la région, les associations, les individus mais c’est aussi un danger : individualisme, autonomisation de la logique économique, affaiblissement des systèmes politiques, mouvement de libéralisation des démocraties et donc éclipse de la dimension du pouvoir collectif (chacun oppose au collectif sa singularité). Donc l’Europe doit se faire en réévaluant le potentiel économique des nations. Il faut se reposer les questions essentielles : A quoi sert l’Etat, En vue de quoi le rendre efficace, Quelle organisation pour le rendre efficace ?
Jürgen Habermas (1929- )
Théoricien allemand en philosophie et en sciences sociales, il appartient à  la deuxième génération de l'Ecole de Francfort. Il remet à l’honneur la raison. Si l’Ecole de Francfort a pu discerner dans les lumières et le règne de la raison l’explication du nazisme et de la Barbarie du début du XXème, Habermas s’inscrit en faux, il a la volonté de rénover les Lumières. A ses yeux la raison n’a plus à proprement parler de nature et d’essence, elle est immergée dans le langage et la discussion. Le langage n’a pas simplement un usage descriptif, il arrive qu’il constitue par lui même une action (Je te baptise) Habermas à partir de cela élabore une théorie de « l’agir communicationnel » Au sein du débat public, la discussion argumentée permet à chacun de faire valoir la validité de son point de vue et d’aboutir à des résultats acceptés par tous. C’est en ce sens que la politique peut déboucher sur une émancipation effective des individus. Le rôle joué par la parole citoyenne (débat, discussions) est donc essentiel. Mais il faut remplacer le modèle du contrat par celui de l’accord au moyen de la discussion. Habermas démontre ainsi l’importance de la parole : parler, c’est déjà agir. Les arguments contradictoires échangés permettront de trouver un consensus et ainsi des solutions aux problèmes rencontrés.

Des philosophes qui veulent changer le monde  

Alain Badiou (1937- )

Philosophe, et dramaturge français, né à Rabat, auteur de L'Être et l'Événement, il est également connu politiquement pour son engagement maoïste, sa défense du communisme et des travailleurs étrangers en situation irrégulière. Dans L’Hypothèse communiste, il réaffirme la pertinence du communisme pour combattre le capitalisme. L’Idée de communisme est ancienne, elle apparaît avec Platon, puis Fourier (le phalanstère), Babeuf. Le Communisme en tant qu’organisation de l’Etat ou de parti a échoué, mais pas l’idée. Dans toute hypothèse communiste il y a une volonté égalitaire et un désir d’une auto organisation et d’une éducation. Le communisme met fin à la division du travail, au fait que celui qui fait le travail le plus ingrat est le moins payé. Le Communisme est une idée qui énonce qu’une autre organisation de la société est possible une organisation basée sur le collectif et non comme l’organisation capitaliste dirigée par les intérêts privés, ou seulement les intérêts d’une petite oligarchie. La démocratie est une forme d’état et le communisme envisage la fin de l’état, le terme de démocratie est confus, la liberté est aussi très difficile à expliquer : on est libre de faire ce que l’on peut, la liberté au regard de la mondialisation cela ne veut rien dire, nous n’avons pas en France et en Afrique les même droits. Dans un entretien avec Alain Finkielkraut et Taddei, Alain Badiou critique aussi bien les apéros géants que le sarcasme ou le rire. Tout cela n’est pas trop utile il faudrait s’attrouper pour protester contre toutes les mesures qui détruisent les raisons de vivre ensemble en France. Le rire empêche parfois de combattre, nous préférons nous moquer. La colère seule ne suffit pas il faut chercher une idée, les manifs seules ne suffisent pas, elles cherchent à conserver des acquis, il faut avancer des solutions, danger de vivre sans idée. Au lieu de critiquer la jeunesse il est préférable de combattre une société capitaliste ou seul s’en sorte les battants et les individualistes,  et qui n’incarne en rien les valeurs de justice, de solidarité et d’universalisme qui pourraient être un remède à tous ces problèmes dénoncés

Jacques Rancière (1940- )

Né à Alger, philosophe, il fut l’élève de Louis AlthusserDans La Haine de la démocratie : il montre que beaucoup d’intellectuels aujourd’hui critiquent la démocratie sous le prétexte que la majorité qui s’exprime à travers les élections (ex celle sur l’Europe) est rétrograde, réactionnaire et que les mouvements sociaux sont plus tournés vers le passé (défense des différentes protections sociales) et vers le maintien des avantages acquis  que vers le progrès, ils les accusent de populisme. De plus en plus ils dénoncent l’individualisme démocratique. Ces intellectuels qui dénoncent cet appétit de consommation, sont à la fois les possédants et les élites, pour eux l’individualisme est une bonne chose, mais c’est un désastre pour la civilisation si tous y ont accès. D’où cette haine de la démocratie quand elle n’est pas gérée par la richesse, la naissance ou la science. Démocratie= gouvernement anarchique fondé sur l’absence de tout titre à gouverner, et si il y a une catégorie à exclure de la liste de ceux aptes à gouverner ce sont ceux qui veulent le pouvoir et qui sont aptes à s’en emparer. Cette démocratie là est vouée à la haine de ceux qui ont des titres pour gouverner les autres : la richesse, la naissance ou la science. La représentation dans la  démocratie n’est pas là pour pallier l’accroissement de la population elle est faite pour que l’élite gouverne le peuple. La vraie Démocratie est une espérance dans une société nouvelle à partir de notre société actuelle, c’est une véritable société égalitaire c’est le socialisme ou communisme, elle fait peur à ceux qui veulent continuer à exercer le pouvoir elle est une espérance pour ceux qui pensent que nous partageons un pouvoir égal de l’intelligence.
Dans Le spectateur émancipé : Le maître ignorant est celui qui n’apprend pas à ses élèves son savoir, il croit en l’Egalité des intelligences, il leur commande de s’aventurer dans la foret des choses et des signes, de dire ce qu’ils ont vu et ce qu’ils pensent de ce qu’ils ont vu, de le vérifier et de le faire vérifier. Nous devons tous être participants d’un monde commun. On a instruit le peuple en leur disant que derrière les images il y a des messages, puis on leur a dit que ces messages étaient trompeurs. Les incapables sont capables. L’art a des pouvoirs subversifs, il est censé être politique, mais en même temps il peut se couler dans une forme de domination étatique, idéologique et économique. Un art critique est un art qui sait que son effet politique passe par la distance esthétique.

Slavoj Žižek (1949- )

Philosophe et psychanalyste slovène, marxiste, influencé par Lacan. Il pense que l’état du monde est catastrophique à cause du capitalisme. Jusqu’à maintenant on a eu besoin du capitalisme pour conduire à la démocratie mais aujourd’hui le capitalisme ne suffit plus, et surtout nous entraine dans un consumérisme sans fin et dans l’idéologie libérale. Il ne faut plus changer le monde, il faut le faire évoluer. Nous nous dispersons depuis les années 80 dans les luttes individuelles, gays, féministes, juifs, arabes en fait il faudrait réintroduire la lutte universelle des classes, se rassembler pour plus de justice, d’égalité, de moralité et contre les lois du marché et les forces de l’argent. La gauche doit nous faire rêver elle doit nous ouvrir à des valeurs spirituelles comme la coopération plutôt que la compétition, la solidarité plutôt que l’élitisme, le care, la réaffirmation de la nature sacrée de toute vie terrestre, la suffisance plutôt que la surabondance, le rôle essentiel de l’art et de la culture. Zizek réhabilite un vrai communisme égalitaire, qui est un vivre ensemble, une expérience collective, un vrai socialisme.

Antonio Negri dit Toni Negri (1933- )

Est un philosophe et homme politique italien, associé aux années de plomb et aux brigades rouges, condamné puis gracié pour la participation à l’assassinat d’Aldo Moro, mais ces activités lui ont valu des années d’émigration en France et des années de prison en Italie. C’est un ardent promoteur d'un revenu garanti c'est-à-dire d'un revenu déconnecté de l'emploi, ardent altermondialiste, il a une conception communiste de la politique, mais il est très critiqué par les marxistes attachés à l’emploi. Il a appuyé le oui pour le Traité constitutionnel européen, car ce traité lui semblait susceptible d’annihiler l’état nation.

Les philosophes à l’heure de la cybernétique

Cybernétique : science qui étudie les mécanismes de communication et de régulation dans les machines et les êtres vivants

Noam Chomsky (1928- )

Linguiste et philosophe américain, plutôt anarchiste, il a fondé la linguistique générative Il a compris que l’esprit humain a une capacité inné à produire le langage selon des règles qui donnent un sens à la phrase, il a étudié l’esprit humain et sa faculté de produire un langage comme s’il s’agissait d’un appareil informatique. On a utilisé des ordinateurs pour modéliser certaines activités humaines, mais on s’est heurté aux limites du langage automatique. On ne peut encore créer des machines aussi sophistiquées que le cerveau humain, du fait de sa complexité mais cela laisse entrevoir d’énormes possibilités.

Bernard Stiegler (1952- )

Philosophe français qui axe sa réflexion sur les enjeux des mutations actuelles — sociales, politiques, économiques, psychologiques — portées par le développement technologique et notamment le numérique. Il a commencé à faire de la philosophie à 26 ans, après un passage  de 5 ans en prison, ou il a mis en pratique l’époké d’Husserl, le retrait suspensif devant le monde. Au doute cartésien Husserl et Bernard Stiegler substituent la méthode époké, la mise entre parenthèse du jugement. Il soutient une vieille idée défendue par le plus libéral des libéraux, Milton Friedman : le revenu minimum d'existence. Idée qui a été relancée par André Gorz et que soutient aussi Toni Negri.
Le temps est bien fini du rêve américain, qui promettait progrès et bonheur pour tous par le marché : tout cela aboutit à la crise de 2008 et au consumérisme. Un nouveau modèle d'innovation est en train de s'inventer : on est passé d'un processus hiérarchique, produit par le haut à l'« innovation ascendante ». Les technologies numériques ont permis ce renversement. Une véritable infrastructure de la contribution se développe depuis vingt ans via Internet, où il n'y a plus des producteurs d'un côté et des consommateurs de l'autre, mais toutes sortes de « contributeurs ». De même pour les industries culturelles, fini le consumérisme culturel, nous voyons donc apparaître d'autres comportements face aux oeuvres, aux arts et aux savoirs. Des communautés de passionnés se forment, échangent des savoirs et reconstituent une faculté de juger.

Des philosophes de la marge mais qui s’attaquent aux problèmes

Marcel Conche (1922- )

Fils de cultivateur, philosophe athée mais élevé dans le christianisme. Pour lui la philosophie  n’est pas une science mais se rapproche plus de l’essai ou de l’ordre de la méditation. La philosophie c’est plus de la méditation que de la démonstration, on ne peut trancher il y a plusieurs métaphysiques possibles.  Le vrai philosophe de l'époque moderne serait Montaigne (Montaigne et la philosophie), car il a réussi, de l'avis de Conche, à écrire son œuvre indépendamment des croyances collectives de son époque.

Clément Rosset (1939- )

Il développe une philosophie de l'approbation au réel : par la joie, je prends plaisir au réel tout entier, sans avoir à m'en masquer aucun aspect, si horrible soit-il. Le paradoxe de la joie est ainsi que rien dans la réalité ne me porte à l'approuver et que pourtant, je puisse l'aimer inconditionnellement. Cette vision est dite "tragique" au sens conféré par Nietzsche à ce terme : est tragique l'amour de la vie jusque dans le déchirement et la douleur extrêmes. Être heureux, c'est être heureux malgré tout. Le miracle qu’il y a à se sentir très heureux dans un monde dont on sait l’horreur. « Je pense tout à fait ce que pense Cioran, à cette différence que je ne conclus pas que la vie est un enfer, mais qu’elle est un paradis ». Comment pourrait-on se passer de morale pour vivre ? Ou d’un minimum de préceptes moraux ? Ne faut-il pas déjà être quelqu’un d’assez honnête, dans le fond, pour pouvoir se passer de morale ? Le seul fait de vouloir faire la morale est mauvais signe. Je pense que les gens qui sont bons n’ont pas besoin de morale. Dans ses livres, il parle au moins autant des écrivains que des philosophes, cela du fait de son éducation. «  Ma culture était originellement littéraire. Et pas seulement la littérature, mais aussi la bande dessinée, le cinéma… Je fais mon miel de toutes origines. Il n’y a pas d’origine noble ou non noble ».Littérature et philosophie sont deux façons différentes d’aborder les problèmes. Ce sont deux modes d’approches différents, deux modes littéraires différents. Les problèmes qui hantent les grands écrivains sont des problèmes qui hantent aussi les philosophes.

Raoul Vaneigem (1934- )

Ecrivain et anarchiste. Il participe avec Guy Debord à L’Internationale situationniste puis s’en sépare. Le traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations est un des livres clefs de la révolte de mai 68. La notion de réussite et d’échec n’a aucun sens. Il faut refuser le pouvoir, le pouvoir participe de la division du  travail, instaure la suprématie de l’intellectuel sur le manuel. La religion comme le pouvoir et l’argent opprime l’homme. Il faut non des grèves les bras croisés mais des mouvements revendicatifs qui bénéficient aux usagers : gratuité des services publics, des transports, des soins de santé… il faut que s’affirme la générosité humaine le plus possible. L’être humain, s’il n’est plus écrasé par la misère mentale ou physique garde une capacité extraordinaire d’amour et de partage. Il continue sa critique radicale du capitalisme marchand.

André Gorz (1923-2007)

Ecolo socialiste de son vrai nom Gerhart Hirsch puis Gérard Horst, il est un philosophe et un journaliste français. Il s’est suicidé avec sa femme, il est l’auteur d’une bouleversante Lettre à D. Proche des existentialistes et des marxistes, il fonde sous le nom de Michel Bosquet le Nouvel Observateur avec Jean Daniel. Dans Un penseur pour le XXIème siècle il dit que la première condition d’une sortie civilisée du capitalisme serait de traiter ensemble la crise écologique, la crise sociale et la crise bancaire. La principale force productive n’est ni le capital machine, ni le capital argent, mais la passion vivante, la production de soi est production de richesse. La connaissance, l’information sont par essence des biens communs. Un révolutionnaire se doit d’avoir plus que les autres une certaine intelligence de cœur sinon l’utopie transformatrice peut devenir meurtrière. L’écologie politique doit être dans le camp de l’anticapitalisme, dans la continuité du marxisme, des luttes ouvrières, et de la tradition révolutionnaire, sinon on se condamne à un monde organisé en hôpital planétaire, école planétaire prison planétaire ou les ingénieurs de l’âme fabriqueront des hommes adaptés à cette condition, une écologie, sorte de pétainisme vert ou écofascisme, ou communautarisme. Au XIXème le travail devient l’essence de l’homme permettant de produire le monde et soi même, au XXème la technique nous permet d’avoir moins de travail et il est moins essentiel. Or l’acharnement au travail, le dévouement au travail risquant de diminuer si chacun peut travailler moins il est plus intéressant économiquement de concentrer sur quelques uns, de motiver une certaine élite à beaucoup travailler, en les récompensant afin de les distinguer des perdants qui n’ont pas de travail, et plus cette élite travaille plus croissent le chômage, l’inégalité.
Mais nous sommes tous cohéritier d’un patrimoine, d’où la nécessité d’un salaire d’existence, ou allocation universelle, et cela est rendu obligatoire du fait de la dérive des finances (les banques ont le privilège de créer 10 fois plus de crédits que le montant des dépôts.) Ce revenu d’existence versé par l’Etat permettra une certaine libéralisation de l’individu. Avec la révolution numérique il y a une immatérialisation accélérée des richesses, du travail, du capital, l’organisation hiérarchique imposée d’en haut recule les formes d’auto-organisation horizontales progressent, l’organisation  en réseaux les logiciels libres apportent une mise en commun à tous ce qui peut permettre une pratique anarcho-communiste plus rapide.

Bruno Latour (1947)

Plutôt écologiste, il est depuis 2007 directeur adjoint de Sciences PO (unité autonome bien dotée à côté de l’université) avec Richard Descoings qu’il défend. Il est plutôt de gauche il a participé avec lui à l’évolution de Sciences Po (mélange des élèves de banlieue, étrangers et bourgeois). Né en 1947 en Bourgogne il est très connu à l’étranger, il est considéré comme un relativiste postmoderne. Sociologue, anthropologue et philosophe français, profondément influencé par la pensée de Michel Serre,  il considère l'activité scientifique comme un système de croyances, de traditions orales et de pratiques culturelles spécifiques. Il se qualifie de non-moderne. Ses conceptions sur les « non-humains » l'amènent à élaborer un véritable programme d’écologie politique. Notant l'impact des découvertes scientifiques sur l'organisation de la société, il souhaite que la constitution du pays prenne en compte non seulement les humains mais aussi les « non-humains ». À cette fin, il propose la création d'un « parlement des choses », dans lequel les choses seraient représentées par des scientifiques ou des personnes reconnues pour leur compétence dans un champ particulier, au même titre que les députés traditionnels représentent aujourd'hui les citoyensSon dernier livre enquête sur les modes d’existence. Pour lui sont modernes ceux qui croient à la différence entre d’un côté le social, exclusivement humain de l’autre la nature, forcément non humaine mais la crise écologique les oblige à reconnaître qu’ils produisent effectivement la réalité dans laquelle ils vivent.

Etienne Balibar (1942-)

Elève et disciple d’Althusser, entré au Parti communiste (dont il fut exclu en 1981) au moment de la guerre d'Algérie, il pense le monde au présent. Engagé de longue date auprès des sans-papiers, « prolétaires au sens strict », des Roms, il  défend une Europe politique où tout citoyen, étranger compris, aurait enfin le droit de cité. Un Allemand ou un Anglais ou un Polonais n'est pas étranger dans le sens où l'est un Algérien, un Brésilien ou un Japonais. Il met l’accent sur la modernité du phénomène raciste et ses implications avec le capitalisme contemporain. Il y a une " guerre de civilisation " qui concerne en particulier les immigrés. En France on est en présence de politiques d’exclusion. En ce qui concerne la régulation des flux migratoires, il revient à l'Etat ou à des communautés d'Etats de fixer les modalités de franchissement des frontières. Or les autorités de pays comme la France qui ne pourraient pas vivre sans main-d’œuvre immigrée refusent absolument de discuter avec les Etats africains ou les associations de migrants des modalités d'obtention des visas ou des politiques d'immigrationLe racisme actuel est lié à l’immigration et s’inscrit dans des pratiques (violences), à un  discours et  à une représentation qui favorisent la formation d’une communauté raciste, et du communautarisme.
La France, " pays des droits de l’homme ", a une mission universelle d’éducation du genre humain (assimilation). La différence des cultures marquerait les inégalités dans une société industrialisée, scolarisée, de plus en plus internationalisée et mondialisée. Selon Balibar " la lutte des classes est censée dissoudre les nationalités et les nationalismes, alors que la lutte des races est censée fonder la pérennité des nations et instituer leur hiérarchie ". En France, l'Etat et l'administration prétendent protéger les nationaux de problèmes réels ou imaginaires – l'ouverture du marché mondial, les flux migratoires – alors qu'ils n'en ont pas la clef. Aussi chez les citoyens naît une profonde angoisse. Danger du slogan de « préférence nationale ». Les nouveaux prolétaires aujourd’hui sont ceux de la migration et les jeunes issus de la paupérisation transgénérationnelle. Les vieilles structures : le PC et le PS ont essayé de surmonter les barrières sociales mais elles ont fini par les reproduire. Comment pourrait–on reconstituer aujourd'hui les formes de circulation des idées entre les différents groupes, les différentes collectivités qui forment une société ? La révolution dans le domaine des communications est à la fois technologique, économique, politique : elle a détruit toute une partie du langage commun qui avait été fabriqué par la combinaison de la scolarisation, du syndicalisme, de la grande presse et du militantisme politique. C'est là dessus que reposaient les formes du mouvement social que nous avons connues. Il faut les réinventer. La citoyenneté n'est pas quelque chose qu'on vous donne mais qui se construit collectivement. Et notamment dans les conflits. Notre société est minée par la violence, la défiance et l'antagonisme mais ne sait plus accepter les conflits, les organiser et en négocier les issues.

Cornel West (1953- )

Une grande voix philosophique de l’Amérique noire, c’est un chrétien révolutionnaire, marxiste, disciple de Martin Luther King qui a soutenu au début Obama. Musicien et amateur de Jazz et de blues, il hait l’injustice, mais pas les blancs, il hait les pratiques des gangsters mais pas les hommes. Apres la mort de Martin Luther King il a décidé de défendre son héritage, comme Platon celui de Socrate. Philosophe du désespoir, il dit que face à toutes les formes de mal, il faut continuer à se battre, à aimer et à rire. Face à ce qu’il y a de plus sombre, il est toujours possible de rire. Le rire, le sourire et l’amour sont des armes dont il faut se servir. Pour lui l’amour de la sagesse, de la vérité et de la justice est essentiel. Il croit à l’espoir mais pas à l’optimisme. Un philosophe doit être humble, comme tout artiste.
Le capitalisme l’a emporté. Grâce à l’électricité, au téléphone, à la télévision, puis internet et l’ordinateur une culture de masse mercantile est diffusée. En même temps la théorie de la relativité, la théorie quantique, la découverte de l’ADN, la philosophie a été ébranlée, rationalisme et empirisme sont remis en cause de nouveaux thèmes sont au centre de l’interrogation philosophique : la vie, le langage, la société, différentes branches comme la sociologie, la psychologie, l’économie politique qui peuvent vider la philosophie de son sens se développent. La phénoménologie (Husserl) qui concilie empirisme et rationalisme et au structuralisme marquent encore aujourd’hui au XXIème la philosophie. Nous sommes dans une sorte de flou pour la philosophie du fait de la transdisciplinarité et de l’interculturel. Aujourd’hui la méditation expliquerait elle mieux le monde que la démonstration ? La philosophie est elle méditation ? Et en ce sens se rapprocherait-elle des autres philosophies interculturelles ?

Conclusion

En introduction nous disions que la philosophie c’était savoir s’étonner. L’homme du XXIème siècle peut il encore s’étonner alors que nous vivons à l’âge de la science ou nous croyons tout savoir, or c’est souvent auprès des grands hommes de science que nous retrouvons l’étonnement comme des enfants, il est encore possible de s’étonner. La philosophie c’est poser des questions et essayer d’y répondre. Une des questions est de se demander ce que nous pouvons savoir et ce que nous pouvons faire de ces savoirs dans notre existence. Philosopher c’est poser les vraies questions. Bien sur elle ne débouche pas toujours sur des savoirs concrets mais elle n’est pas inutile, elle ne peut pas mourir. La philosophie doit nous aider à vivre. Aujourd’hui avec la chute du communisme, la montée de certains fanatismes, la mondialisation des marchés, « l’internetisation » des connaissances une interrogation renaît et si la philosophie pouvait nous aider à vivre et si les valeurs de justice, de bien, de vrai était de nouveau essentiels. Faire de la philosophie c’est réfléchir à ce qu’est la vie et aux éléments qui la composent, c’est se demander comment vivre sans faire appel à d’autres croyances que la confiance et la raison, c’est essayer de se changer soi même.
Bien sur il ne faut pas oublier la théorie, et faire de la philosophie c’est créer des concepts mais aussi faire l’histoire de la philosophie tout en se changeant soi même. Un philosophe n’est pas un individu qui aurait eu une illumination, c’est un esprit qui décide de transformer son existence par l’intelligence continuée et vécue de ce qu’il lui arrive. La philosophie apprend à se connaître. La philosophie c’est à la fois le mode de vie et la construction de discours et de concept. Le philosophe c’est un expérimentateur d’existence.